Petit bonheur numéro cent vingt six : signer de son futur nom de femme

Ce bonheur là va un jour changer de nom.

Mademoiselle y tient. Elle est une demoiselle. Certes, elle a perdu au fond d’un lit ce qui faisait d’elle une jeune fille farouche. Certes, elle se balade avec au doigt une bague qui est là pour décourager les prétendants (Monsieur y tient), même si elle ne correspond à aucune promesse pour le moment (Mademoiselle y tient). Parfois, dans la rue, ou chez le primeur, ou à la banque, ou chez le coiffeur ou au travail, quelqu’un se risque d’un « Madame ».  Mademoiselle corrige aussitôt. On lui répond que « Mademoiselle, ça ne se dit plus... » « J’y tiens, dit elle, sinon mon homme n’aura aucune raison de m’épouser un jour« .

Monsieur n’est pas prêt à épouser Mademoiselle. Au début, elle a crû que c’est parce qu’il ne se voyait pas vieillir avec elle. Et puis elle a compris que c’était autre chose. Monsieur ne veut pas épouser Mademoiselle parce qu’il n’en voit pas l’utilité.

« Je n’ai pas besoin de te promettre que je t’aime devant qui que se soit. Je n’ai pas besoin de signer un papier ni te mettre une bague pour être à toi et toi à moi. D’ailleurs, tu ne m’appartiens pas. Nous sommes comme le Petit Prince et le Renard, nous nous apprivoisons. Il n’y a pas de serment pour cela. »

Monsieur a dit cela. Et Mademoiselle a trouvé que c’était beau. Et que c’était vrai. On ne promet que ce que l’on peut tenir. Jurer à Dieu ou au maire qu’on s’aimera toujours est absurde, presque parjure. On a envie d’y croire, mais on sait tous que l’amour est d’autant plus beau qu’il n’est jamais acquis.

Tout de même. Elle a beau savoir qu’elle n’a pas besoin de cela, elle rêve de ce moment, où noyée dans ses yeux, seuls au monde comme au fond d’un lit, ils se diront qu’ils s’aiment, ils se bagueront. Comme ces oiseaux qu’on relâche avec un anneau, pour qu’ils ne soient jamais plus tout à fait comme les autres. Ils sont libres de partir, libres de vivre, libres  de revenir.

Jamais aucune bague, jamais aucune signature n’emprisonnera l’amour qu’à Mademoiselle pour Monsieur. Promettre serait inutile, signer serait superflu. C’est pour cela qu’elle veut promettre et signer. Baguée volontaire, c’est encore plus beau.

Alors, sur un bout de papier, en bas du dossier X, Mademoiselle tente. La main hésite. Elle se voit, à l’autel, penchée sur le registre. Il faut signer du nom de Monsieur. Ce nom jusqu’alors étranger, ce nom qu’elle murmurait tendrement, et qui sera un jour le sien. Apprivoise moi dit le Renard.

Mademoiselle tente un premier jet. Pas génial. Elle en tente un deuxième. Elle hésite. Elle recommence. Encore et encore. Encore et encore… Le nom lui échappe, le nom fuit sa plume. Il se cabre, ils se cherchent. Le nom hésite à se faire adopter.  La page est couverte du nom de Monsieur. Et c’est un vrai petit bonheur.

 

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